1 septembre 2021 Par Laurence Pouzet

Heureux qui comme Ulysse…

Mon fils, Ulysse Heivanui, est né à Tahiti en Polynésie Française, le 22 janvier 2007.
Sa naissance fut un moment exceptionnel. Comme la plupart des naissances, me direz-vous… 
Laissez-moi vous raconter en quoi celle-ci fut une expérience singulière et – plus que tout autre – un voyage apprenant.

Al’été 2016, lors d’un premier voyage à Tahiti, j’ai fait la connaissace de la mère biologique d’Ulysse. Depuis, cette rencontre, à la fois fortuite et inespérée, nos destins sont liés. À l’issue d’une grossesse partagée avec elle, malgré 15 000 km de distance, j’ai traversé les océans une seconde fois afin d’être à ses côtés pour la naissance. Celle-ci s’est déroulée dans une complicité sereine et joyeuse. Des circonstances impensables de ce côté-ci de la planète. J’ai pris soin de mon bébé dès ses premières heures, dans la pouponnière de la maternité, où mon mari et moi avons été accueillis comme les autres parents. Ulysse et moi nous sommes adoptés mutuellement, sous le regard attendri de sa fratrie. Au travers du faa’mu, le don d’enfant coutumier en Polynésie et plus largement en Océanie, nous allions désormais former une famille d’un genre particulier, totalement en dehors des usages habituels.

Les semaines suivantes, nous avons arpenté ces iles paradisiaques dont nous avions découvert un an plus tôt la face méconnue, le revers de la carte postale idyllique. Nous connaissions le dénuement et les conditions de vie souvent précaires qui conduisent encore de nombreuses mamans à confier leur enfant. Sans les abandonner pour autant.
Ulysse avait trois mois lorsque – une fois l’ensemble des formalités juridiques remplies (entretiens avec les services sociaux, enquête de « moralité » de la gendarmerie et délivrance d’une délégation d’autorité parentale par le Tribunal de Grande Instance de Papeete) – nous sommes rentrés tous les trois à la maison. Quatre ans de procédure et des dizaines de contrôles administratifs et judiciaires ont suivi – avant que l’adoption simple soit enfin officiellement prononcée, en 2011.

Ulysse est un enfant solaire et joyeux. Nous sommes fiers de cette histoire familiale particulière, avec laquelle il a grandi sans tabou. Comme promis, nous n’avons pas coupé les liens avec sa famille de naissance. A l’occasion de ses dix ans, nous sommes retournés à Tahiti. Malgré son jeune âge, il a noué – sous mon regard aimant et protecteur – une relation subtile avec sa mère biologique, respectueuse de celle que nous avions créée, lui et moi, durant toutes ces années. Au fil des semaines, il trouvait réponse à ses questions, mettant en place les pièces du puzzle. Jamais je ne l’avais senti si proche de moi. Et il n’a plus jamais posé cette question si difficile : « Qui est ma vraie mère ? »

Ulysse est un adolescent épanoui et chaleureux. Au cours de l’année 2022, à sa demande et pour ses quinze ans, nous ferons un troisième voyage en Polynésie. Celui-ci donnera lieu à d’autres articles pour éclairer cette histoire et pour témoigner des valeurs humaines que je souhaite insuffler à ce Blog : l’ouverture d’esprit, le respect de la différence, la symétrie des attentions et l’importance de construire des engagements réciproques, sur le principe du « don contre don » cher à Marcel Mauss.

L’adoption traditionnelle en Polynésie est aujourd’hui sujette à controverse. En effet, au cours des dernières années, elle a malheureusement donné lieu à des dérives, certains Métropolitains ayant semble-t-il fait pression sur de jeunes mères pour qu’elles donnent leur enfant, pendant que d’autres abandonnaient tout lien avec les parents biologiques après l’adoption. De ce fait, il arrive que le transfert d’autorité parentale soit refusé, le juge considérant qu’il est contraire à l’intérêt de l’enfant. Lorsqu’il est confié aux services sociaux, il ne peut être adopté qu’à la fin du délai légal de rétractation des parents de naissance, soit deux ans après sa naissance. L’administration polynésienne cherche désormais à favoriser cette procédure.

Je ne souhaite pas rejoindre et encore moins entretenir la polémique qui est née de ces faits, ni ne juge les personnes qui par désespoir de ne pas devenir parents, ont peut-être franchi certaines limites. Je veux simplement partager notre histoire, ma propre expérience.

…Pour que le Faa’amu montre son plus beau visage.