Polynésie Moorea Voyage
22 février 2022 Par Laurence Pouzet

« Guider c’est accompagner » (vidéo)

Transcription écrite de ma rencontre avec Sophie FAVROLT (voir la vidéo)

Bonjour Sophie, dis-moi, pour toi, guider c’est accompagner ?

Sophie Favrolt : Oui, pour moi guider c’est accompagner, c’est préparer le terrain, s’enrichir pour enrichir l’autre, ouvrir la voie, marcher devant mais se retourner et s’arrêter souvent pour ne perdre personne en chemin. Poser des bases (une date de départ d’une histoire, par exemple), et puis construire un cheminement de plus en plus précis à partir de ces bases, éveiller à des notions nouvelles, voire tout expliquer depuis le début, notamment pour des publics novices ou enfants ou étrangers, qui n’entendent pas les « évidences » et ont besoin qu’on définisse un champ de vocabulaire (c’est quoi exactement une cathédrale ? pourquoi on parle du Grand Siècle ? Et la Révolution française en une phrase, on dirait ça comment ?). C’est donc aussi, être à l’écoute et se remettre en question pour s’adapter à chaque audience, et l’accompagner dans son « voyage ».

LP : Quel lien ferais-tu avec le mentorat ?

SF : Il me semble qu’il y a une base commune de « passeur », de « facilitateur ». Je rencontre bien des gens me disant que l’histoire, la culture, ce n’est pas pour eux, qui se ferment ces portes parce qu’ils les imaginent « ouvrables » uniquement pour un public d’érudits. Mon rôle, alors, c’est de gommer ces croyances qui limitent, parfois de réconcilier avec l’Histoire en montrant, par exemple, qu’elle est faite par des êtres humains et que les ressentis humains ne sont pas si différents d’une époque à l’autre : par exemple, faire comprendre la politique du roi Louis XIV par le prisme des expériences du petit enfant Louis… Comme pour le mentorat, je crois, guider c’est accompagner, c’est « se faire seuil », « se faire pont » pour aider à aller plus loin qu’on aurait cru.

J’essaie de transmettre mon savoir et de donner des clefs à mes visiteurs pour qu’ils puissent apprécier une architecture, une peinture, une sculpture, par eux-mêmes. Il ne s’agit pas de leur imposer de dire « c’est beau » à toute œuvre, mais de leur expliquer pourquoi telle œuvre génère, chez moi, de l’émotion ou de l’intérêt. Bref, de parler de sensibilité à sensibilité, jamais en « sachant » qui assène une vérité. Voilà pourquoi chaque visite est différente, et pourquoi mon métier continue de m’enthousiasmer : si je montre les mêmes œuvres, je ne les montre pas aux mêmes personnes, et le dialogue qui s’instaure est renouvelé à chaque fois. 

LP : j’ai publié un article que tu m’avais soufflé sur la façon dont les Grecs de l’Antiquité avaient favorisé la mixité pour améliorer la performance de leur vie en société. Peux-tu nous relater un autre fait historique aussi inspirant que celui-ci ?

Sophie Favrolt : J’aimerais te parler de James Cook, le plus grand marin de son temps. Sur les navires, on m’appelait Lady Cook parce que je ne tarissais pas d’éloge sur cet homme. Je pense aussi à lui parce qu’il est question de Polynésie dans ton blog et que les expéditions de James Cook l’ont mené dans le Pacifique. Il y a d’ailleurs une baie qui porte son nom à Moorea.

Ce qui est intéressant en l’occurrence, c’est son parcours étonnant, plein de changements de cap. En 1745, alors âgé de 17 ans, Cook est placé en apprentissage chez un commerçant du Yorkshire. Cela constitue déjà une belle évolution pour ce jeune homme issu d’une famille modeste d’agriculteurs. Mais au bout d’un an et demi, son patron comprend que Cook n’est pas fait pour le commerce et le présente à John et Henry Walker, des quakers faisant commerce du charbon et propriétaires de plusieurs navires. Cook est alors engagé comme apprenti de la marine marchande. Une fois ses trois ans d’apprentissage terminés, Cook travaille sur des navires de commerce en mer Baltique. Il monte rapidement en grade mais préfère néanmoins s’engager dans la Marine royale, devinant qu’une carrière plus intéressante s’offre à lui. Cela implique de recommencer au bas de la hiérarchie et c’est alors comme simple marin qu’il rembarque. Il est rapidement promu au grade de Master’s Mate. En 1757, après deux ans passés au sein de la Navy, il réussit son examen de maîtrise lui permettant de commander un navire de la flotte royale. Il fera alors trois fois le tour du monde en l’espace d’une dizaine d’années.

LP : C’est vrai que cette histoire offre un intéressant parallèle avec la question de la réussite et de la reconversion professionnelle :

  • Découvrir sa voie et s’épanouir pleinement nécessite de se remettre en question et parfois de recommencer, de changer de cap 
  • Dans l’entreprise, le dirigeant ou le manager jouent un rôle majeur dans l’évaluation des compétences et le fait de mettre chaque personne à la bonne place, pour garantir à la fois la performance collective et l’épanouissement individuel des salariés.

… mais revenons à ton propre parcours :

LP : Quelle est la décision que tu as prise et dont tu tires aujourd’hui le plus de satisfaction, voire de fierté ?

SF : Eh bien, si je remonte le fil de mon évolution professionnelle, je crois que cette décision a été prise le 17 janvier 2005 précisément (on est historienne ou on ne l’est pas hein, les dates, toujours les dates) : ce jour-là, j’ai mis terme à une collaboration professionnelle qui ne me convenait pas, qui générait chez moi de l’insatisfaction voire un sentiment d’injustice et de la colère. Comme cette décision me privait d’un client important, je me suis aussitôt mise à chercher par quoi (ou qui) le remplacer : c’est ainsi que j’ai regardé du côté des bateaux de croisière et 5 mois plus tard, j’embarquais pour la première fois. Cette décision difficile, un peu prise dans la douleur, m’a ouvert les portes d’un monde totalement nouveau. Cela a décidé de la suite de ma carrière et de ma vie, puisque 17 ans plus tard, je navigue encore.

LP : Qu’est-ce que tu n’as pas encore fait et qui constitue pour toi un objectif, un challenge enthousiasmant pour l’avenir ?

SF : J’aimerais beaucoup pouvoir développer mon activité de guide, d’historienne, de médiatrice culturelle sur un support que j’ai à peine exploré, à savoir la radio, voire la TV. J’interviens sur une antenne de temps à autres et j’aimerais beaucoup explorer les possibilités de l’audiovisuel pour y remplir ma mission de transmission et de narration.

LP : Merci beaucoup Sophie pour ce témoignage inspiré et inspirant ! Ça me donne envie de creuser l’idée d’un podcast que j’ai en tête depuis quelques mois, sur les liens que l’on peut faire entre Histoire et Management. Peut-être pourrions-nous y réfléchir ensemble ?
Et vous (internautes) s’il y a des sujets que vous aimeriez voir traiter, n’hésitez pas à me l’écrire !

Interview « Guider c’est accompagner » réalisée en février 2022.

Sophie est guide-conférencière à Paris et à travers le monde. Sa passion, c’est l’écriture. Elle a déjà publié plusieurs ouvrages et de nombreux contenus culturels. Elle intervient également en tant que lectrice-correctrice pour l’édition et la presse et je la remercie pour sa relecture ortho typographique des articles de mon blog ! Nos métiers sont plus proches qu’on pourrait le penser… Pour voir son profil complet c’est Ici.